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Bernard Duval, passeur de mémoire

Portrait de Bernard Duval
Publié le 18/09/2024

C’est avec une profonde tristesse que nous avons appris le 18 septembre 2024 le décès de Bernard Duval, à l’âge de 99 ans.

Pendant près de quarante ans, le résistant et ancien déporté a eu à cœur de témoigner auprès de la jeunesse des horreurs de la guerre et des camps de concentration. En cette année spéciale de la commémoration du 80ème anniversaire du Débarquement et de la Libération de Caen, il avait accepté une fois de plus de transmettre son témoignage.

Découvrez son histoire.

 

 

Contre l’oubli, poursuivre la transmission

Nombreux sont les écoliers, collégiens et lycéens normands à avoir déjà croisé la route de Bernard Duval. Pendant plus de 20 ans, le résistant et ancien déporté a eu à cœur de témoigner auprès des plus jeunes des horreurs de la guerre et des camps de concentration. 

« Je remercie les professeurs d’histoire qui m’ont permis d’avoir ces échanges avec les élèves. J’ai eu des retombées merveilleuses ! On sentait qu’ils suivaient, qu’ils participaient… Souvent, les enseignants me disaient qu’ils auraient bien aimé avoir des salles de classe aussi studieuses ! » Modeste, le nonagénaire souligne qu’il « ne faisait que raconter sa vie ». 

Une vie marquée par la Seconde Guerre mondiale, de son entrée dans la Résistance à sa déportation. « Le témoignage que nous apportons, c’est une promesse tenue. On parle à titre posthume pour ceux qui ne sont pas revenus. Ce sont eux qui, à travers ma voix, racontent ce qu’ils ont souffert. Ils nous disaient : "Tu diras ce qu’ils nous ont fait, ces salauds-là". »

Premières années
19 mai 1925
Naissance

Naissance à Caen, rue du Gaillon.

Premières années
Juin 1940
L'occupation

Début de l’occupation allemande de la ville. Pour Bernard, dont le père est un ancien poilu, c’est un affront. « De savoir que 20 ans après, tous les sacrifices de la guerre 1914-1918 étaient réduits à néant… Je ne l’ai jamais accepté. » Dès le début, il s’associe à plusieurs amis du quartier Saint-Julien et s’oppose à la présence allemande. « On s’attaquait à leur propagande en déchirant les affiches. » Confortée par l’appel du général De Gaulle, la bande réalise même sa propre propagande qu’elle diffuse épisodiquement.

La Résistance
Septembre 1941
Premier acte de résistance

Après deux ans de formation en menuiserie, Bernard Duval trouve un poste d’ouvrier chez les Établissements Doré. « L’entreprise était réquisitionnée par l’occupant, qui montrait son vrai visage. Il y avait eu beaucoup d’arrestations. » Le jeune homme de 16 ans doit travailler à la construction de portes en bois pour les cellules de la Maison d’arrêt de Caen. 

Envoyé sur place pour procéder à l’installation, il croise le regard d’un détenu. « C’était André Michel, un peintre-décorateur que je connaissais bien ! » Discrètement sollicité, par le biais d’un autre prisonnier, Bernard Duval accepte de transporter clandestinement deux lettres malgré les risques encourus s’il se fait prendre lors des fouilles menées par les sentinelles allemandes. « Je les avais cachées à l’arrière de mes chaussettes. On était en hiver, il faisait froid mais je transpirais à grosses gouttes ! Cela aurait pu me trahir. » Il réussit finalement à sortir porter les missives… et revient même avec une réponse. 

C’est là le premier acte de résistance de Bernard Duval car, sans le savoir, il vient d’aider le chef local du réseau de résistance Hector.

La Résistance
Début 1942
Missions d'espionnage

Enrôlé par son ami Bernard Boulot, le jeune homme rejoint le réseau d’obédience communiste du Front national début 1942. Ensemble, ils sont chargés d’espionner les travaux de construction et de fortification entre Asnelles et Ouistreham. « Nous nous déplacions à vélo, sous prétexte d’aller chercher de la nourriture auprès des fermiers du coin. » Le stratagème fonctionne jusqu’en mars 1944.

Arrestation et emprisonnement
10 mars 1944
L'arrestation

Attrapé et torturé, l’un des membres du réseau passe aux aveux. « J’ai été le dernier arrêté. Deux officiers français sont venus chez moi. Ma mère a tout de suite compris et m’a dit de filer par le jardin. Mais je ne voulais pas la laisser dans les mains de la Gestapo. » Bernard Duval est conduit rue des Jacobins, au siège de la Gestapo. Il y est torturé par un officier allemand, Albert, qui lui inflige de nombreux sévices corporels avant de lui promettre qu’il « sera fusillé ». « Je ne pouvais plus marcher, je ne sais pas comment j’ai fait pour descendre l’escalier. » 

Le résistant est envoyé à la Maison d’arrêt de Caen où, ironie du sort, il est incarcéré derrière l’une des portes qu’il a contribué à installer.

Arrestation et emprisonnement
20 mai 1944
Le dernier convoi

Bernard Duval fait partie du dernier convoi à quitter la Maison d’arrêt de Caen, quelques jours seulement avant le Débarquement. Paradoxalement, ce départ vers les camps de concentration lui sauve la vie : les prisonniers restants sont fusillés le 6 juin 1944.  

La Déportation
4 juin 1944
« C’est terrible, la soif »

Après une première étape au camp de Royallieu, Bernard Duval et son ami Bernard Boulot, sont conduits dans une gare de marchandises où ils prennent place dans des wagons à bestiaux. « C’était en juin, il faisait très chaud. Le trajet a duré trois jours et demi, sans boire ni manger. Il y a eu des morts, des gens sont devenus fous… c’est terrible, la soif. » 

Le train arrive enfin en Allemagne, au camp de Neuengamme. Les survivants sont répartis en deux files - « les SS disaient "à droite" ou "à gauche". On ne sait pas ce que sont devenus ceux de la colonne de droite. » - puis déshabillés, rasés et menés sous des pommeaux de douche. « C’était une eau bienfaitrice après tout ce temps sans boire. Elle était sale mais on ne pouvait pas se retenir. » Bernard intègre le Bloc 12, un bloc de quarantaine prévu pour 200 déportés et qui en accueillera 400. 

La Déportation
2 juillet 1944
Le camp de Sachsenhausen

Un nouveau transfert conduit Bernard Duval au camp de Sachsenhausen, où il restera près d’un an. Les prisonniers sont mobilisés pour l’effort de guerre allemand. « Je devais confectionner une couronne dentée pour les boîtes de vitesse des chars Panthère. C’était une aberration ! Ils nous faisaient travailler sur les armes qui allaient être utilisées contre ceux qu’on espérait voir nous libérer ! » Alors le prisonnier sabote son travail, lorsqu’il le peut, en desserrant sa pièce pour la faire ripper. « C’était la peine de mort si cela se savait… mais ils ne l’ont jamais détecté ! » sourit-il avec un clin d’œil malicieux.

La Libération
25 et 26 avril 1945
La Libération du camp par les Russes

Face à la progression de l’armée russe, les allemands quittent le camp. Une première brèche dans le mur d’enceinte permet aux déportés affamés de se ruer sur un silo de betteraves rouges crues situé dans un bâtiment agricole à proximité. « Ce n’était pas très recommandé mais on avait tellement faim… on ne pouvait pas résister. » Les combats faisant rage, Bernard Duval et Bernard Boulot décident de revenir au camp pour la nuit. 

Le lendemain, les Russes prennent le lieu. « Avec les autres déportés, nous nous sommes précipités vers eux et nous les avons soulevés, malgré nos peu de forces ». 

Libres, Bernard et six camarades prennent la direction de la France, aidés d’une boussole et d’un réveil. Le trajet du retour sera long. Malgré leur faiblesse physique – Bernard Duval avait perdu 20 kg, son ami Bernard Boulot n’en pesait plus que 35 –, le groupe parvient à parcourir 140 km à pied : « nous étions tellement faibles, on faisait des pauses et on mangeait ce que l’on trouvait dans les champs, les fermes… » 

C’est sur la route qu’ils apprennent la fin de la guerre, le 8 mai 1945

La Libération
5 juin 1945
Retour à Caen

Désinfectés – « on était couverts de puces, parasites, insectes… » – puis rapatriés en France par les Alliés, les deux Caennais découvrent les avis de recherche réalisés par leurs familles. « C’était un grand soulagement. Nous avions appris pour le Débarquement dès le 6 juin 1944, mais n’avions eu aucune information depuis. Nous étions très inquiets, je ne savais pas ce qu’étaient devenus mes parents. ». Les amis peuvent enfin envoyer un télégramme à leurs proches. Il passe une nuit au Lutetia, hôtel parisien réquisitionné par l’armée française pour accueillir les déportés. « On nous a conduit dans une chambre capitonnée, avec des draps blancs. Nous n’avons pas osé les salir, on a dormi sur la descente de lit ! » 

Leurs chemins se séparent le 5 juin 1945, lorsque Bernard Boulot reste chez un oncle à Paris tandis que Bernard Duval prend le train pour Caen. « J’aurais voulu rentrer avec mon copain. D’autant que la première personne que j’ai vue était son père, qui travaillait à la SNCF. Il était déçu de ne pas le voir. »  C’est l’heure des retrouvailles tant attendues avec sa famille : « de tels instants d’émotion ne peuvent s’exprimer, ils se vivent intensément, les regards perlés de larmes. » 

Il faudra plus de six mois à Bernard pour récupérer un minimum de santé, grâce aux bons soins de sa mère et au suivi d’un médecin. 

Témoigner
2024
Passeur de mémoire

La vie reprend son cours mais Bernard « se souvient de tout. Je vois encore leurs visages… » À l’aune du 80e anniversaire de la Libération de Caen, il continue inlassablement son travail de passeur de mémoire « en souvenir d’une époque où il était difficile de survivre et en mémoire de ceux d’entre nous, hélas si nombreux, qui n’ont pas eu la chance de sortir vivants de cet enfer nazi. »

Témoigner
18 septembre 2024
Hommage

Bernard Duval s'est éteint le 18 septembre 2024.  

Figure de la résistance caennaise, prisonnier et déporté, Bernard Duval était en cette année spéciale de commémoration le visage et la voix du 80e anniversaire du Débarquement et de la Libération de Caen. Avec la gentillesse, l’humilité et la sincérité qui le caractérisaient, il s’est appliqué comme il le faisait depuis près de quarante ans à raconter sa jeunesse volée, marquée par la Seconde Guerre mondiale, son engagement dans la Résistance et sa survie dans les camps.

La Ville de Caen a appris avec une infinie tristesse cette nouvelle et s'associe aux nombreux hommages rendus à cet homme d'exception.

18 septembre 2024

Date de publication: 18/09/2024

Dernière mise à jour de la page: 20/09/2024 à 11h42